Les couleurs observables dans les tunnels de lave et leurs origines

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Les couleurs observables dans les tunnels de lave et leurs origines

Les tunnels de lave basaltiques offrent un spectacle inattendu de couleurs pour qui s’aventure sous la surface d’un volcan. Loin d’être uniformément noirs, ces conduits volcaniques présentent au contraire une palette variée allant des reflets gris métalliques aux teintes rouge orangé, en passant par des bruns profonds et même des nuances de vert, de bleu ou de violet. D’où viennent ces couleurs étonnantes ? Pour un public curieux de volcanologie, nous allons explorer de manière accessible l’origine de ces colorations. Chaque type de couleur a sa source – qu’elle soit due aux processus de refroidissement de la lave, à des réactions chimiques comme l’oxydation, à la présence de minéraux cristallisés, à la colonisation par des micro-organismes, ou encore aux dépôts laissés par l’infiltration de l’eau. Des exemples issus de sites volcaniques renommés en Islande, à Hawaï, aux Canaries et à La Réunion viendront illustrer ces phénomènes naturels fascinants.

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Gris métallisé des parois vitrifiées : le lustre de la lave refroidie

L’une des premières surprises en pénétrant dans un tunnel de lave est de voir les parois briller d’un éclat gris métallique, comme si elles étaient tapissées d’aluminium​. Ce lustre argenté provient de la vitrification rapide de la lave en surface. En effet, lorsque la coulée de basalte s’écoule et que sa surface entre en contact avec l’air, elle refroidit brutalement en formant une pellicule de verre volcanique. Ce verre basaltique, riche en oxydes (silice, aluminium, fer, etc.), prend une apparence lisse et réfléchissante.

Il est important de préciser que cette couleur grise à métallisée ne provient pas spécifiquement de l’alumine (Al₂O₃), bien que ce composant soit bien présent dans le basalte. La teinte grise est en réalité le résultat d’un mélange complexe d’oxydes, en particulier la silice (SiO₂) et les oxydes de fer (FeO, Fe₂O₃), qui dominent la composition du verre volcanique. L’alumine, elle, joue un rôle dans la structure du verre (réseau aluminosilicaté) mais ne génère pas directement une couleur spécifique visible à l’œil nu. C’est donc la combinaison de la composition chimique et de la texture vitreuse, très lisse, qui crée ces reflets gris métallisés, parfois comparés à ceux de l’aluminium ou d’un miroir terni.

Sous la lumière des lampes, il renvoie des reflets argentés presque miroir, d’où l’impression de parois métalliques. Par exemple, dans les tunnels de lave de La Réunion issus de l’éruption de 2004, les spéléologues décrivent souvent ce phénomène : « Sous la lumière des lampes frontales, les parois du tunnel brillent d’un éclat gris métallique. Presque artificiel ». De même en Islande, le célèbre tunnel de Raufarhólshellir présente des murs entièrement recouverts d’une pellicule gris argenté constituée de verre volcanique, donnant un effet miroir aux parois. Ce gris métallisé est donc le signe d’un refroidissement ultrarapide de la lave en surface, figeant la roche en un émail naturel. Notons que ce phénomène se produit surtout dans les portions de tunnel les plus jeunes et proches de l’éruption, où la chaleur intense a vitrifié le basalte avant qu’il n’ait le temps de cristalliser.

Pourquoi la surface d’une coulée de lave, pourtant refroidie rapidement, n’a-t-elle pas cette couleur grise métallisée ?

C’est une question fréquente et pertinente. Bien que la lave en surface refroidisse rapidement, elle ne présente pas cette teinte grise métallisée que l’on observe dans les tunnels de lave, pour plusieurs raisons :

  • L’oxydation en surface est bien plus forte, car la lave est en contact direct avec l’air atmosphérique riche en oxygène. Cela transforme les oxydes de fer en composés rouges, bruns ou noirs.

  • L’altération météorologique (pluie, vent, UV, micro-organismes) agit rapidement en surface, modifiant ou masquant l’aspect vitré initial.

  • La texture de la lave en surface (aa, pahoehoe) est souvent rugueuse et pleine de bulles ou d’irrégularités, ce qui empêche la formation d’un film vitré lisse capable de refléter la lumière comme un miroir.

  • L’éclairage naturel diffus ne fait pas ressortir les effets optiques subtils que l’on observe sous lumière artificielle dans un tunnel.

Ainsi, même si le refroidissement est rapide en surface, les conditions physico-chimiques et optiques très différentes expliquent pourquoi la couleur grise métallisée est typique des tunnels de lave, et non des coulées de lave exposées à l’air libre.

Les sculptures basaltiques du tunnel de lave des lichens - Piton de la Fournaise
Les sculptures basaltiques "chocolat"du tunnel de lave des lichens - Piton de la Fournaise

Brun “chocolat” des parois lissées par la lave en fusion

Au-delà du métal argenté, un autre ton dominant dans les tunnels de lave est le brun profond rappelant le chocolat. Les voûtes et parois internes arborent souvent cette couleur brun chocolat remarquable, comme si les murs avaient été enrobés de cacao. En réalité, cette teinte brune est le résultat du passage de la lave en fusion qui a enduit et lissé les parois. Lorsque la lave liquide s’écoule dans le conduit, elle frotte et racle les bords du tunnel, y déposant une fine couche de basalte en cours de solidification. Ce revernissage des murs forme une pellicule vitrifiée plus épaisse qui, au lieu d’être grise et translucide, apparaît brunâtre et opaque une fois refroidie. L’aspect est souvent comparé à du chocolat fondu figé. À La Réunion, l’intérieur du grand tunnel de la coulée de 2004 est décrit comme étant d’une « fabuleuse couleur chocolat » due à la vitrification du basalte sur les parois et plafonds​. De même, au parc volcanique de Lava Beds en Californie, une cavité a été nommée “Hopkins Chocolate Cave” en raison de la riche couleur brune du revêtement de lave qui recouvre ses murs et son plafond. Cette couleur chocolat se forme donc lorsque la lave a suffisamment longtemps léché les parois du tube avant de se retirer, polissant la roche en y laissant une glaçure brune homogène. Parfois, ce brun vitrifié se mélange à d’autres teintes : ainsi, dans le tunnel de 2004 à La Réunion, les surfaces brunes lisses peuvent être marbrées de petites taches jaune vif de soufre, résidu de gaz soufrés condensés. L’ensemble donne un décor aux tons chauds et terreux, témoignage visuel du flux de lave qui a coulé en ces lieux.

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Tunnel de lave des lichens - Sainte Rose - Piton de la Fournaise

 Les rouges, oranges, jaunes et verts de l’oxydation du fer

En parcourant un tunnel de lave, on remarque souvent des teintes vives – rouge brique, orange rouille, jaune ocre – colorant certaines parois, planchers ou stalactites de lave. Ces couleurs chaudes proviennent principalement de l’oxydation du fer contenu dans le basalte​. Le basalte est riche en fer, et après le refroidissement, ce fer peut s’oxyder au contact de l’oxygène de l’air ou de l’eau infiltrée. Quand le fer passe à l’état ferrique (Fe³⁺), il forme des oxydes ou hydroxydes qui prennent des couleurs variant du jaune au rouge. Par exemple, la limonite et la goethite donnent des jaunes et oranges, tandis que l’hématite produit un rouge intense. Dans les tunnels islandais, on observe de véritables fresques naturelles de ces oxydes de fer : le tunnel de Jörundur présente ainsi des parois entièrement teintées de rouge orangé par les oxydes ferriques​. De même, en surface autour des volcans, les anciennes coulées de lave finissent par rougir en s’altérant – on peut le voir à Hawaï où les scories et laves anciennes prennent une teinte rouge brique, ou aux Canaries où les cendres oxydées colorent le paysage de Lanzarote en ocre et rouge.

Cependant, l’oxydation du fer ne produit pas que du rouge. Dans certaines conditions, d’autres nuances apparaissent. Des teintes brunes peuvent provenir d’oxydes moins hydratés ou mélangés (par ex. la magnétites donne du noir-gris, mais mêlée à d’autres oxydes elle brunâtre). On observe aussi du violet ou du pourpre sur certaines coulées – souvent un stade intermédiaire d’oxydation à haute température. À La Réunion, les guides expliquent que selon la température à laquelle le fer s’est oxydé, les roches peuvent virer au pourpre dans certains recoins du tunnel. Le vert peut également se manifester : un fer à l’état ferreux (Fe²⁺, moins oxydé) donne des teintes vert-de-gris​. Ainsi, des dépôts verdâtres sont parfois visibles là où l’oxygène a manqué, laissant du fer partiellement oxydé. Par exemple, dans le tunnel islandais de Flóki, on a relevé des enduits vert olive dus à du fer ferreux non totalement oxydé. Enfin, de manière plus surprenante, on peut même apercevoir du bleu sur les parois volcaniques. Ces teintes bleutées sont en partie liées à des effets d’irisation : un film très fin d’oxyde de fer ou de silice sur la paroi peut diffracter la lumière et donner des reflets bleu-violet. Sous la lueur des lampes LED, les surfaces vitrifiées des tunnels révèlent ainsi des reflets bleus ou violets fantomatiques​. La Réunion possède d’ailleurs un “Tunnel Bleu” où la voûte scintille d’un bleu léger sous la lampe, phénomène dû aux reflets sur le verre basaltique. En Islande, certaines sections de Víðgelmir offrent aussi ces reflets bleutés sur le basalte oxydé​. En résumé, toute une palette – jaune, orange, rouge, brun, vert, violet, bleu – peut découler de l’oxydation du fer et des minéraux du basalte, chaque couleur racontant les conditions de refroidissement et d’exposition à l’air qu’a connues la lave solidifiée​. Ce véritable festival de couleurs, bien documenté dans les tunnels volcaniques islandais​, contribue à l’extraordinaire attrait visuel de ces grottes de lave.

Teintes des cristaux de basalte : vert de l’olivine et autres minéraux

Si l’on s’approche de plus près de la roche des tunnels de lave, on peut y discerner de petites taches ou paillettes de couleur qui proviennent des cristaux présents dans le basalte. En effet, même vitrifié en surface, le basalte contient souvent des minéraux cristallisés (phénocristaux) hérités du magma. Le plus emblématique est l’olivine, un minéral généralement de couleur vert olive. L’olivine se forme dans les magmas basaltiques riches en magnésium et fer, et elle apparaît fréquemment sous forme de petits cristaux verdâtres englobés dans la lave. On la reconnaît à sa teinte vert jaunâtre translucide et à son éclat vitreux. Par exemple, les laves de La Réunion et d’Hawaï sont connues pour contenir de l’olivine : à la surface des coulées hawaïennes, l’altération libère parfois ces cristaux, allant jusqu’à former la célèbre plage de sable vert de Papakōlea (constituée d’olivine). Dans un tunnel de lave, on pourra voir briller çà et là des petits points verts dans la paroi – ce sont des cristaux d’olivine figés dans la matrice noire. La présence de ces inclusions d’olivine apporte une touche de vert naturel à la roche volcanique.

Aux côtés de l’olivine, on trouve d’autres minéraux dans le basalte qui contribuent à sa coloration interne. Les pyroxènes (comme l’augite) sont très communs : ils se présentent en cristaux sombres, vert foncé à noir. À l’œil nu, ils apparaissent généralement noirs, se confondant avec la masse basaltique, mais on peut parfois voir leurs faces brillantes en éclairant la roche. Les feldspaths plagioclases, eux, se manifestent par de petites aiguillettes blanchâtres ou translucides. Ces cristaux de feldspath donnent souvent au basalte un moucheté gris clair lorsque la lave a eu le temps de cristalliser partiellement. Dans certains tunnels de lave plus anciens ou dans les portions où le refroidissement fut un peu plus lent, ces cristaux sont plus visibles et contrastent sur le fond noir. Par exemple, aux Canaries, les laves de Tenerife contiennent des phénocristaux de plagioclase blanc qui ressortent sur la patine sombre de la roche. De même, à Hawaï, les basalte du Mauna Loa montrent parfois des baguettes de feldspath clair au sein de la lave solidifiée. En résumé, la couleur intrinsèque du basalte (gris très sombre, presque noir) peut être ponctuée par le vert de l’olivine, par le noir brillant des pyroxènes et des oxydes (comme la magnétite), ou par le blanc laiteux du feldspath. Ces minéraux ne colorent pas de vastes surfaces comme le font les oxydes sur les parois, mais ils apportent des détails colorés que l’on peut admirer en examinant les parois de près ou en observant les éclats de lave au sol. Ils rappellent que la lave, même figée en verre, recèle une structure minérale interne – un peu comme une roche précieuse aux incrustations multicolores. D’ailleurs, lorsque des morceaux de lave sont cassés ou érodés, on peut parfois en extraire de petits cristaux d’olivine, prisés comme gemmes semi-précieuses (le péridot, variété gemme de l’olivine, à la belle couleur vert clair).

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Tunnel de lave Citron Galet - Saint Philippe - actinomycètes jaunes dorées

La palette biologique : champignons et micro-organismes colonisateurs

Même dans le noir des tunnels de lave, la vie parvient à s’installer et contribue elle aussi aux couleurs observables. En l’absence de lumière, ce ne sont pas des plantes qui colonisent ces grottes volcaniques, mais des micro-organismes – principalement des bactéries et des champignons microscopiques. Parmi eux, les actinomycètes (des bactéries filamenteuses autrefois confondues avec des champignons) forment des tapis biologiques sur les parois, appelés biofilms ou mats microbiens. Ces mats peuvent tapisser de larges portions de paroi et se remarquent par leurs couleurs souvent vives ou inhabituelles : on a identifié des actinomycètes de teinte blanche, jaunâtre, rosée, orange, argentée ou même dorée​. Sous le faisceau d’une lampe, ces colonies bactériennes peuvent briller intensément, donnant l’illusion de dépôts de minéraux précieux. Par exemple, dans les caves de lave du parc national de Lava Beds (États-Unis), le plafond de la grotte dite “Golden Dome” est recouvert d’un biofilm d’actinomycètes hydrophobes qui scintille comme de l’or sous la lumière, d’où le nom de dôme doré. De même, à Four Windows Cave (Nouveau-Mexique, USA), certaines parois apparaissent couvertes d’un voile argenté lorsqu’on éclaire les tapis bactériens humides qui y adhèrent​. Aux Açores et aux Canaries, des études ont mis en évidence des mats microbiens jaune vif dans des tunnels de lave vieux de plusieurs milliers d’années, preuve que ces bactéries colonisent les volcanismes océaniques également.

Ces couleurs biologiques proviennent de pigments produits par les micro-organismes. Les scientifiques ne savent pas encore exactement pourquoi ces bactéries synthétisent de tels pigments colorés dans l’obscurité totale – peut-être pour se protéger de certaines radiations résiduelles ou des produits chimiques du milieu, ou simplement comme sous-produit de leur métabolisme. Quoi qu’il en soit, l’effet visuel est saisissant : des plaques d’un rose saumon ou d’un jaune soufre peuvent apparaître sur les plafonds, contrastant avec le noir de la roche. Parfois, cela forme des motifs rappelant des coulures de peinture. Lorsque l’humidité est présente, ces biofilms brillent d’un éclat particulier. Il arrive aussi que des moisissures ou d’autres champignons microscopiques se développent sur des débris organiques apportés dans le tunnel (bois, feuilles, fientes de chauve-souris) – ils se manifestent alors par des taches duveteuses blanchâtres ou orangées sur le sol ou les parois proches de l’entrée. Mais dans les profondeurs des tubes volcaniques, dépourvues de toute matière organique, ce sont surtout les actinomycètes autotrophes qui dominent. Ils oxydent parfois des composés minéraux pour vivre et peuvent ainsi être à l’origine de dépôts colorés insolites. L’observation de ces couleurs vivantes est un des attraits méconnus des tunnels de lave : en plus de la géologie, on y découvre une microbiologie visuelle. Par exemple, un visiteur de la Cueva de los Verdes (Lanzarote) ou de la Kazumura Cave (Hawaï) pourrait être surpris de voir des reflets dorés ou argentés à certains endroits, dus non pas à du métal, mais à des bactéries pigmentées. Les guides de spéléologie à La Réunion montrent souvent des filaments blanchâtres sur les parois – des colonies d’actinomycètes – qui donnent une apparence de givre dans la caverne. Ainsi, les micro-organismes apportent leurs propres touches de couleur, faisant des tunnels de lave de véritables écrins de biodiversité microscopique tout en or et en pastel.

Tunnel de lave coulée 1998 - Cristaux de Gypse
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tunnels de lave coulée 2007 piton de la fournaise reunion island - Sels de cuivre?

Dépôts de lessivage : le gypse et les efflorescences blanches

Enfin, un dernier groupe de couleurs dans les tunnels de lave provient de dépôts minéraux secondaires liés à l’infiltration de l’eau. Avec le temps, de l’eau de pluie peut percoler à travers la roche volcanique au-dessus du tunnel, dissolvant en chemin certaines substances, puis précipitant ces minéraux lorsqu’elle s’évapore dans la cavité. Cela donne naissance à des efflorescences et concrétions d’un aspect souvent clair : blanc, translucide ou pâle. Le minéral le plus courant issu de ce processus dans les grottes de lave est le gypse (sulfate de calcium hydraté). Le gypse se forme lorsque des ions calcium (provenant par exemple de la dissolution des plagioclases du basalte) rencontrent des ions sulfate (issus soit des gaz volcaniques soufrés piégés, soit de matières lessivées). Il cristallise en croûtes blanches, en petites aiguilles ou en bouquets fibreux sur les parois et plafonds. Dans le tunnel d’Árnahellir en Islande, par exemple, les spéléologues ont observé de fines cristallisations de gypse d’un blanc pur sur certaines stalactites de basalte​. À la lumière de la lampe, ces dépôts ressemblent à du givre ou à de la ouate collée à la roche. Parfois, le gypse forme de longs filaments soyeux appelés cheveux d’ange ou ouate de gypse, qui flottent légèrement au moindre courant d’air. Aux Canaries, la Cueva del Viento (Tenerife), l’un des plus longs tunnels de lave du monde, abrite elle aussi des concrétions de gypse et d’autres sulfates grâce à son ancienneté (~27 000 ans) qui a permis à l’eau d’y circuler suffisamment longtemps.

Outre le gypse, d’autres dépôts blanchâtres peuvent apparaître : la calcite (carbonate de calcium) peut se déposer sous forme de spéléothèmes si de la carbonate est introduite (par exemple du calcaire dissous ailleurs ou du CO₂ atmosphérique mélangé à l’eau). Cependant, les grottes volcaniques étant pauvres en calcaire, la calcite y est plus rare que dans les grottes karstiques, bien qu’on puisse trouver de petites fleurs de calcite sur des parois dans certains tunnels anciens de La Réunion ou d’Hawaï. La silice (dérivée de la dissolution du verre volcanique) peut également précipiter en un fin voile blanc translucide sur les parois, donnant un aspect de vernis laiteux. Les guides réunionnais évoquent ainsi un « voile blanc » de silice ou de calcium sur certaines parois intérieures. Ce voile est parfois subtile, mais contribue à adoucir la couleur noire de la lave d’une nuance blanchâtre.

Il arrive aussi que des dépôts colorés se forment à partir d’éléments moins communs : par exemple, des sels de cuivre peuvent donner une teinte vert vif à certaines concrétions au sol, comme cela a été documenté dans un tunnel islandais où des efflorescences vert-de-gris marquaient le plancher​. De même, des nitrates (issus d’éventuelles matières organiques) peuvent laisser un dépôt blanchâtre poudreux. Chaque infiltration d’eau crée ainsi sa chimie locale, peignant les recoins du tunnel de teintes claires. Ces dépôts de lessivage mettent souvent du temps à se former et sont très fragiles – un simple contact peut les détacher. Leur présence indique que le tunnel n’est plus actif depuis un certain temps et qu’il subit une lente évolution post-volcanique. Visuellement, ils apportent des touches de blanc éclatant dans l’obscurité du tube. Par exemple, dans le tunnel de lave du Piton de la Fournaise ouvert en 2004, après une quinzaine d’années, on commence à voir apparaître de minces enduits blanchâtres de gypse sur les parois les plus humides. Ces concrétions contrastent avec le brun et le noir de la lave environnante, créant parfois l’illusion de toiles d’araignée ou de fines dentelles minérales accrochées au plafond. Pour le visiteur, tomber sur un bouquet de cristaux translucides au fond d’un tunnel volcanique est une expérience magique : on découvre que même la pierre volcanique « morte » peut engendrer des cristaux étincelants grâce à l’action de l’eau.

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Dépôts de Gypse - Tunnels de lave 2022 - Piton de la Fournaise
Tunnels de lave coulée 2022 - Piton de la Fournaise -
Tunnels de lave 2022 Piton de la Fournaise

Observations récentes : stalagmites salées et dépôts blancs à La Réunion

Lors d’explorations menées fin 2023 par les guides du Bureau Rando Volcan – Tunnels de lave Réunion sur et sous la coulée d’octobre 2022 du Piton de la Fournaise, des stalagmites salées et des dépôts blancs cristallins ont été observés dans des cavités et galeries accessibles sous la croûte de lave refroidie. Ces formations sont composées de sels minéraux précipités à partir d’eaux d’infiltration enrichies en ions dissous. Leur aspect blanchâtre, parfois translucide ou fibreux, évoque des concrétions de gypse ou d’autres sulfates, mais certaines présentent un goût salé marqué, suggérant la présence de halite (NaCl) ou de sulfates de sodium comme la thénardite.

Ces découvertes témoignent de l’évolution rapide des systèmes souterrains même dans des coulées récentes, et montrent que l’interaction entre l’eau et la roche volcanique peut générer très tôt des micro-environnements propices à la précipitation de sels. Ces dépôts blancs, visibles aussi bien sur le plafond que sur le sol, contrastent fortement avec le basalte noir ou brun, ajoutant une nouvelle dimension visuelle et chimique à l’exploration des tunnels récents.

 

En conclusion, les tunnels de lave basaltiques se révèlent être de véritables galeries d’art naturelles où la chimie, la physique et le vivant ont peint les parois de mille couleurs. Le gris métallique des surfaces vitrifiées nous raconte le refroidissement éclair de la lave en fusion, le brun chocolat témoigne du passage abrasif de la coulée qui a poli ses propres tuyaux, les rouges et oranges de rouille signalent l’attaque de l’oxygène sur le fer volcanique, quand les verts et bleus plus rares indiquent soit des conditions chimiques particulières (fer réduit, dépôts de cuivre, films d’irisation) soit l’effet de reflets de lumière sur un verre sombre. Les pointes de vert et de blanc incrustées dans la roche sont le souvenir des cristaux de minéraux formés dans le magma (olivine, pyroxène, feldspath), figés pour toujours dans la matrice de basalte. Les taches roses, dorées ou argentées qui surprennent l’explorateur moderne sont, elles, le signe que la vie microbienne a su coloniser ce milieu extrême, ajoutant ses pigments à la palette. Enfin, les miroitements blancs des cristaux de gypse ou de silice signalent l’infiltration de l’eau et la lente transformation de ces grottes volcaniques avec le temps.

Chaque tunnel de lave, que ce soit en Islande, à Hawaï, aux Canaries ou à La Réunion, offre une combinaison unique de ces phénomènes. Par exemple, le tunnel de Víðgelmir en Islande émerveille par ses parois rouges et bleutées dues aux oxydes​, tandis que celui de Kazumura à Hawaï présente çà et là des reflets dorés de microbes et des cristaux d’olivine verdoyants dans le sol noir. À La Réunion, le grand tunnel de 2004 expose côte à côte un plafond scintillant de vitrification grise et une salle voisine teintée de rouge par l’oxydation, non loin d’un « tunnel bleu » aux reflets intrigants​. Aux Canaries, les vastes galeries de Tenerife laissent voir des dépôts blanchâtres de gypse et des taches jaunes biologiques au détour d’un couloir. L’étude de ces couleurs est non seulement esthétique mais aussi scientifique : elles permettent aux volcanologues et spéléologues de reconstituer l’histoire de la coulée (vitesse de refroidissement, circulation des gaz, présence d’eau, etc.) et aux exobiologistes d’imaginer comment la vie pourrait se manifester dans des tunnels volcaniques d’autres planètes. Pour le grand public, la découverte de ces teintes insoupçonnées transforme la visite d’un tunnel de lave en une expérience visuelle riche et éducative. La prochaine fois que vous pénétrerez dans l’obscurité d’un tunnel volcanique, braquez votre lampe sur les parois : vous y verrez peut-être un véritable arc-en-ciel souterrain, mémoire colorée de la naissance et de la vie de la roche en fusion.​