Les Périmorphoses sur les volcans c’est quoi au juste?

Lava tree forest hawai
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Les périmorphoses sur les volcans

L’univers des volcans recèle bien des surprises, dont celle de figer pour l’éternité les empreintes d’êtres vivants ou d’objets enfouis. Ce phénomène, appelé périmorphose en géologie, désigne la conservation de la forme externe d’un objet disparu – souvent organique – grâce à la lave ou aux dépôts volcaniques solidifiés. Autrement dit, la lave en refroidissant peut mouler l’empreinte de ce qu’elle a englouti, même si la chaleur détruit l’original. Comment la roche en fusion, normalement synonyme de destruction, parvient-elle à immortaliser des traces fugaces ? Tour d’horizon pédagogique de ces étonnantes périmorphoses volcaniques, avec des exemples allant des animaux pris au piège aux moulages d’arbres en passant par les traces de dinosaures et les célèbres victimes figées de Pompéi.

Qu’est-ce qu’une périmorphose volcanique ?

En minéralogie, on parle de périmorphose lorsqu’un minéral en recouvre un autre et en préserve la forme après la disparition du premier

. Par analogie, en volcanologie, une périmorphose se produit lorsque de la lave ou des cendres épousent la forme d’un objet (organique ou non) et la conservent en creux après que l’objet a brûlé ou s’est décomposé. Pour qu’une telle empreinte se forme, il faut une lave suffisamment fluide et chaude pour entourer l’objet, mais qui se solidifie assez vite en surface. L’objet (un tronc, un corps, etc.) est alors consumé ou s’envole en cendres, ne laissant qu’une cavité ou un moule dans la lave refroidie​

. Parfois, ce moule reste vide ; d’autres fois, il peut être comblé plus tard par des minéraux ou du plâtre, révélant une copie quasi parfaite de la forme initiale.

Moule d'arbre dans le basalte Volcanboexplorer.re

Empreintes d’éléphants figées dans la lave

Parmi les exemples spectaculaires, on compte des animaux piégés par des coulées de lave rapides. En 1977, le volcan Nyiragongo (République démocratique du Congo) a vu son lac de lave se vider brutalement : une coulée ultra-fluide a dévalé à plus de 60 km/h, surprenant habitants et animaux

Malheureusement, environ 600 personnes et de nombreux animaux ont péri dans cette éruption fulgurante​

Quelques années plus tard, en 1980, les volcanologues Katia et Maurice Krafft ont découvert le moulage d’un éléphant entier pris dans la lave solidifiée de 1977​

La forme en creux laissait distinguer l’empreinte du corps, de la tête et même de la trompe de l’animal​

témoignage poignant de sa présence figée dans la roche. Ce cas illustre bien la périmorphose : l’éléphant a été encérré par la lave qui a gardé son contour avant que la carcasse ne disparaisse.

Ailleurs, des traces de pas d’éléphants ont aussi été rapportées sur d’anciennes laves. Au Cameroun, on aurait retrouvé des empreintes de pattes figées dans la roche volcanique, bien que ces cas soient moins documentés que celui du Nyiragongo.

Fruits moulés par la lave : l’exemple du « pimpim »

La lave peut également immortaliser des formes végétales inattendues. À Hawaï, lors des éruptions du Puʻu Ōʻō entre 1990 et 1992, des coulées de lave très fluides ont envahi le village de Kalapana et sa végétation tropicale​

Les arbres et leurs fruits ont été englobés par la lave incandescente. Les objets non combustibles (roches, structures métalliques) ont été retrouvés intacts dans la lave solidifiée, tandis que les éléments organiques ont brûlé en conservant un moule en creux de leur forme​

C’est ainsi que l’on a découvert des empreintes de fruits de vacoa (arbre Pandanus) à la surface de ces coulées hawaïennes​

Le vacoa, appelé localement pimpin ou pinpin à La Réunion, produit de gros fruits fibreux ressemblant à des ananas. Ces fruits « pimpims » ont laissé leur marque : la lave a moulé leurs loges hexagonales caractéristiques avant que la partie organique ne carbonise et s’évanouisse. Des géologues français ont photographié ces empreintes de fruit de Pandanus à Kalapana, montrant clairement la forme du fruit figée dans le basalte refroidi​

De manière similaire, si une coulée de la Fournaise traversait une plantation de fruits tropicaux, on pourrait s’attendre à retrouver des moulages comparables. Cela souligne la capacité de la lave à capturer des détails fins, qu’il s’agisse de reliefs de peau d’un fruit ou de la texture d’une écorce.

Pimpim Pinpin fruit du vacoa
Pimpim Pinpin fruit du vacoa
Perimorphose de Pimpin Hawai
Perimorphose de Pimpin Hawai

Arbres de lave : les moulages de troncs forestiers

L’un des phénomènes les plus courants de périmorphose volcanique concerne les arbres englobés par les coulées de lave. À Hawaï comme à La Réunion, on peut observer de véritables « arbres de lave » : il s’agit des moulages en creux laissés par les troncs calcinés dans la lave solidifiée. Lorsque de la lave fluide traverse une forêt, elle enrobe la base des troncs. Le bois prend feu et se consume, parfois jusqu’au charbon. Si la lave a eu le temps de former une croûte solide autour du tronc avant son effondrement, alors l’empreinte cylindrique de l’arbre demeure, telle un puits vertical dans la coulée refroidie​

C’est ce qu’on appelle en anglais un « tree mold », littéralement un moule d’arbre. Au fil du temps, le bois carbonisé peut disparaître complètement, ne laissant qu’une cavité vide ayant la forme du tronc.

Des sites emblématiques illustrent ce phénomène. À Lava Trees State Park (Hawaï), une éruption vers 1790 a laissé une forêt de « statues » de lave : la lave enrobe les troncs et en garde la forme, créant des silhouettes fantomatiques d’arbres figées en basalte. Sur l’île de La Réunion, la coulée de 2004 du Piton de la Fournaise a également produit des périmorphoses d’arbres. En explorant les tunnels de lave de cette coulée, les spéléologues et visiteurs peuvent voir les empreintes laissées par des troncs et racines – on y trouve des « barils » de lave creux où se tenaient autrefois des arbres tropicaux. Ces moulages attestent que la coulée a traversé une végétation dense, brûlant les arbres sur place.

Ce phénomène n’épargne pas des objets de grande taille : on a vu des coulées englobant même des poteaux ou des constructions humaines, qui laissent leur empreinte si elles ne fondent pas totalement. Cependant, les troncs d’arbres restent l’exemple le plus typique de périmorphose volcanique observable in situ.

Moulage d'arbre Tunnels de lave 2004 Volcanoexplorer.re
Moulage de troncs d'arbres dans les tunnels de lave 2004 Piton de la Fournaise VolcanoExplorer.re
Périmorphose d'arbre coulée 2004 Piton de la Fournaise Volcanoexplorer.re
Périmorphose d'arbre coulée 2004 Piton de la Fournaise Volcanoexplorer.re
Périmorphose d'arbre coulée 2004 Piton de la Fournaise Volcanoexplorer.re
Moulage de troncs d'arbres dans les tunnels de lave 2004 Piton de la Fournaise VolcanoExplorer.re
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Empreintes de dinosaures conservées dans d’anciennes coulées

Sur des échelles de temps géologiques, les périmorphoses volcaniques ont aussi préservé des traces de vie préhistorique. Un exemple marquant a été décrit récemment dans le désert du Karoo en Afrique du Sud : des paléontologues y ont mis au jour 25 empreintes fossilisées de pas de dinosaures prises entre d’anciennes couches de lave​

Ces empreintes datent d’environ 180 millions d’années (Jurassique inférieur)

Les chercheurs pensent que, suite à une première série d’éruptions, certains dinosaures (carnivores, herbivores et même de petits synapsides pré-mammifères) ont continué à vivre dans ce paysage de lave​

Ils ont laissé leurs traces dans la cendre ou la lave refroidie, entre deux coulées volcaniques successives

Par la suite, de nouvelles éruptions ont recouvert ces sols d’une couche de lave, protégeant ainsi les empreintes durant des millénaires.

Ces traces de pas pétrifiées témoignent de dinosaures marchant sur un sol volcanique, un véritable scénario de « terres de feu ». Aucun ossement n’a été retrouvé – seulement les moulages naturels des pas​

Pour les étudier, les scientifiques ont réalisé des moules en silicone sur place, puis ont analysé ces empreintes en laboratoire​

Cette découverte exceptionnelle montre que même des animaux préhistoriques ont pu voir leurs empreintes figées par la volcanologie, à condition que les dépôts volcaniques se refroidissent assez vite pour en garder l’empreinte. D’autres exemples existent probablement ailleurs dans le monde, partout où des sédiments volcaniques ont conservé des ichnites (traces fossiles) de dinosaures.

Photographie de traces de pas de dinosaures fossilisées dans un ancien dépôt volcanique du Karoo. 

empreintes de dinosaures karoo

Les moulages humains de Pompéi

Enfin, impossible de parler de formes organiques préservées par les volcans sans évoquer Pompéi, où l’éruption du Vésuve en 79 apr. J.-C. a figé sur place les malheureux habitants de la cité romaine. Techniquement, il s’agit ici de cendres volcaniques (ponces et tuf) et non de lave, mais le principe rejoint celui des périmorphoses : le matériau volcanique a conservé la forme des corps humains pris au piège. À Pompéi, la pluie de cendres et de lapilli a rapidement enseveli les habitants surpris par l’éruption. Leur corps ont créé des cavités dans les dépôts volcaniques en se décomposant. Dix-sept siècles plus tard, au XIXe siècle, l’archéologue Giuseppe Fiorelli eut l’idée de verser du plâtre liquide dans ces cavités lors des fouilles​

Une fois le plâtre durci, il obtint des moulages précis des victimes dans leur dernière posture, révélant même les détails de leurs vêtements​

​Plus de 1 150 corps d’hommes, de femmes, d’enfants et d’animaux ont ainsi été “ressuscités” sous forme de moulages, offrant un instantané poignant du drame de 79​

Ces moulages humains de Pompéi sont sans doute les périmorphoses volcaniques les plus connues du grand public. On peut aujourd’hui les admirer in situ ou dans des musées – figures recroquevillées, visage protégé dans un dernier geste, ou encore un chien enchaîné figé sur le dos. Ils démontrent comment un matériau volcanique fin (la cendre) a pu immortaliser des formes organiques avec une grande fidélité, jusqu’aux expressions corporelles figées par la mort. Bien sûr, sans l’intervention humaine (le plâtre injecté), ces cavités seraient restées invisibles, mais la nature avait bel et bien conservé l’empreinte de chaque victime.

périmorphoses humaines pompei

Qu’il s’agisse d’un éléphant africain piégé par une coulée, d’un fruit tropical figé dans le basalte, de la trace millénaire d’un dinosaure, du moule d’un arbre fantomatique ou des silhouettes humaines figées dans la cendre, toutes ces périmorphoses racontent la même histoire : la capacité étonnante des volcans à figer la vie en plein mouvement. Ces phénomènes résultent d’un équilibre délicat entre destruction et préservation. La lave et les cendres anéantissent la matière organique, mais en contrepartie elles conservent son empreinte comme un négatif. Pour les volcanologues et les archéologues, ces moulages naturels sont de précieuses archives offrant un instantané du passé – une empreinte directe d’un événement ou d’une vie envolée. Vulgarisés au grand public, ils suscitent l’émerveillement et nous rappellent que les volcans, au-delà de leur puissance destructrice, peuvent aussi être des sculpteurs de mémoire figeant pour la postérité des scènes éphémères.

Chaque volcan actif susceptible de rencontrer de la vie ou des constructions peut potentiellement créer de telles empreintes. C’est un champ de recherche interdisciplinaire, mêlant géologie, biologie et histoire, qui continue de livrer ses trouvailles insolites. Les périmorphoses volcaniques fascinent parce qu’elles sont à la frontière de la vie et de la pierre, offrant un témoignage pétrifié de l’interaction entre la Terre en fusion et le monde vivant. Nous ne pouvons qu’admirer ces archives naturelles et en tirer des enseignements sur les éruptions passées – tout en espérant que les prochaines empreintes laissées par les volcans seront celles d’objets inanimés, et non de nouvelles victimes.